Icare
L'homme qui fut emporte par sa temerite
L'experience vient de l'age.
Quand on s'eleve sans prudence, on tombe sans parachute.
C'est ca mon mythe.
Vol - Intrépide - Simple - Air - Aveugle - Cicatrices
Je crois que j'ai toujours eu cette envie de victoire, d'atteindre les hautes sphères de ce monde. Moi un pauvre gosse du peuple, je voulais être reconnu, montrer que j'en avait dans le ventre. Je voulais me démarquer de l'ombre de mon père, Dédale dont j'ai hérité l'intelligence. Mais j'étais jeune. J'ai été puni pour l'offense de mon père, après avoir vécu la famine, l'enfermement et la dépravation de tout, nous nous échappèrent. Cependant cette échappée me marqua à jamais. Voler, approcher les Dieux, être plus qu'un homme, vivre libre, tous ces désirs s'éteignent lors de la mort. Mon seul désir lors de ma chute fut de vivre. Et c'est ce désir pourtant le plus simple de tous qui me sauva. Qui m'apporta tout ce que je souhaitais avant ma chute et qui après me sembla dérisoire.
"Les désirs sont mortels et ce n'est qu'en profitant du plus simple qu'on les obtient sans risques."
L'obscurité. Non pas la semi noirceur de la nuit ou d'une pièce non éclairée mais celle, complète et totale des profondeurs immesurables. Celle qui enlève tout sens de vision à celui vivant sous le soleil. Celle qui est tellement dense qu'en elle, le moindre son prends des allures de grondement. Celle qui force ceux qui vivent en elle à évoluer pour survivre. Cette obscurité est mon quotidien depuis ma chute.
Le soleil me manque. Sa chaleur sur ma peau, son éclat douloureux dans mes yeux. Ses rayons qui donnent vie aux couleurs de la nature. Les couleurs. Elles me manque aussi. Le bleu du ciel qui n'est pas le bleu des yeux de mon frère, qui ne ressemble en rien au bleu de l'océan ou d'une mer en pleine tempête. Le vert d'une foret ou le vert de l'herbe, le rouge des fleurs, celui avec lequel on teint les tissus. Ces camaïeux qui font réagir les sens, tel un touché doux ou agressif, calme ou apaisant.
La perspective et les distances me manquent. Pouvoir évaluer la taille d'un bâtiment en une pensé, savoir combien de pas il faut pour arriver là-bas, comprendre d'un instinct la profondeur des marches. Ne pas s'imaginer tomber à chaque pas fait.
Toutes ses petites choses que l'on apprends quand on est enfant, que l'on découvre au fur et à mesure de sa vie, ces petits instants de Beauté que l'on perd en même temps que le Sens. En même temps que la vue.
J'ai dû apprendre à vivre sans tout ça. J'ai dû apprendre à marcher de nouveau, à me déplacer, à ignorer les brûlures dans mon dos. J'ai dû apprendre à vivre dans l'obscurité, avec mes autres sens décuplés. Tel un nouveau né abimé.
Quand je touche, je sens toute la texture. Le moindre creux de roche, le moindre pli de tissus. Le plus petite ride sur un visage. Quand je suis touché, je ressens tout plus fortement. La caresse douce et fraiche de l'eau sur mes chevilles, le roulement du gravier sous mes plantes de pieds, le moindre cal sur la main qui serre la mienne. Quand j'entends, tout est plus intense. Le bruit est plus profond qu'avant. J'y ressens des nuances, des vibrations, et même les émotions qui en viennent. J'entends de plus loin, plus fort. Quand je goute, l'explosion de saveur me fait découvrir de nouvelles choses. L'amertume m'agresse tel du sel dans une plaie, le sucré est une douceur enviable et le monde parait plus vivable, l'eau n'est plus insipide. Quand je sens, je vois presque. Je sens chaque détails, chaque choses qui est passé près de moi, chaque animal qui est venu boire, chaque plantes qui arrive à pousser ici bas, chaque ingrédients dans un plat.
Avec la perte de ma vue, la porte d'un monde m'a été fermé. J'ai perdu mes êtres aimés, j'ai perdu la beauté de la nature, j'ai perdu beaucoup. Mais rien n'est que négatif. Quand on perd, on gagne aussi autre chose. La porte d'un autre monde s'est ouverte. Un monde plus intense, un monde d'obscurité mais emplit de sens, un monde de pouvoir, un monde de solitude.